La galantophilie n’est pas une perversion

Encore peu répandue chez nous, la passion pour les perce-neige a contaminé les botanistes et les jardiniers britanniques depuis l’époque victorienne. Des voyageurs-collectionneurs à barbe et haut de forme,dont James Atkins, Samuel Arnott et Henry John Elwes ont sillonné les montagnes d’Europe et de Turquie à la recherche de nouvelles espèces à introduire et naturaliser dans les parcs anglais et écossais. Le nom botanique du perce-neige est Galanthus, une latinisation des mots grecs gala (le lait) et anthos (la fleur). D’où les galantophiles sont simplement ceux qui sont fous de perce-neige.

Le plus fou dans cette collectionnite n’est pas le prix que peut atteindre un seul bulbe de perce-neige rare, mais le fait que identifier les différences entre espèces nécessite de se mettre à quatre pattes avec de bonnes lunettes! Le feuillage peut être bleuté ou vert vif, très étroit ou plus large et plat. Au bout d’une tige florale plus ou moins longue, pend un ovaire généralement vert mais parfois jaune, d’où partent 6 tépales, 3 extérieurs et 3 intérieurs, comme une goutte de lait. Les tépales intérieurs, serrés, portent une marque verte, souvent en forme d’accent circonflexe. Il y a parfois une marque verte supplémentaire sur le haut du tépale. Les 3 tépales extérieurs sont ovoïdes, plus ou moins étroits ou bombés, exceptionnellement marqués de vert ou gaufrés. Voilà la gamme subtilités et variantes possibles.

Quelques illustrations dans l’ordre:

  • Galanthus nivalis, notre perce-neige traditionnel, aux feuilles et aux fleurs étroites

  • Galanthus atkinsii, très élégant et formant de belles touffes

  • G. ‘Samuel Arnott’ a des fleurs rondes sentant légèrement le miel, portées par de longues tiges

  • G. nivalis ‘Viridapice’ est un magnifique cultivar avec un coup de pinceau vert sur les tépales extérieurs

  • G. ‘Warburg Primrose’ a l’ovaire et la marque jaune, une curiosité de collectionneur qui, à mons sens, a l’air maladif

  • G. ‘Diggory’ est bien visible avec ses tépales extérieurs larges et gaufrés

Les perce-neige ont tendance à s’hybrisider, de sorte qu’on ne connaît pas toujours leur nom. De la sorte, j’ai dans mon jardin une très belle variété, reçue d’un parc français, à grandes fleurs bombées dont la partie intérieure est presque entièrement verte et dont les feuilles sont larges et bleutées. Il s’agit probablement d’un descendant de Galanthus elwesii, le perce-neige géant.

En hauteur, il est toutefois dépassé par une variété très élégante à feuilles larges et vert vif. Ici les fleurs fines pendent au bout d’une tige souple d’une trentaine de centimètres, comme un poisson au bout d’une ligne.

Il existe une version à fleur double de notre perce-neige classique, Galanthus nivalis ‘Flore Pleno’. Des cultivateurs ont réussi, non sans mal, à obtenir d’autres cultivars doubles en faisant des croisements. Galanthus ‘Dionysus’ est une belle réussite.

Malgré leur taille diminutive, ces petits bulbes produisent de bonnes fleurs à couper qui tiendront en vase plusieurs jours. Il suffit de chiner des vases suffisamment petits pour les mettre en valeur.

A l’Arboretum de Kalmthout, le conservateur Abraham Rammeloo montre une manière très originale de présenter les bulbes: un hérisson produit par Wedgwood spécifiquement à cet usage. Pour trouver une de ces pièces rares, chercher sous ‘hedgehog snowdrop planter’.

Ce qui est beau, c’est d’avoir un effet de masse. Ne désespérez pas, les perce-neige, même si petits, se reproduisent vite. Certaines espèces se ressèment spontanément, produisant dès la première année une pousse qui ressemble à un brin d’herbe. D’autres forment un grand nombre de bulbilles, produisant rapidement des touffes compactes qui peuvent ensuite être divisées pour replanter les bulbes individuellement. Le moment idéal pour le faire est dès que les fleurs se fanent, quand les feuilles sont encore bien saines. La manière idéale de planter des perce-neige est d’ailleurs d’obtenir des bulbes ‘en-vert’, c’est-à-dire avec les feuilles. Les bulbes secs vendus à l’automne sont souvent desséchés et leur reprise n’est pas assurée. Le seul problème est qu’il y a peu de vendeurs de plants. Il vous faudra vous rendre à des ventes de collectionneurs, convaincre un ami jardinier de vous partager son stock ou un fleuriste de vous vendre au rabais ses invendus en pots (destinés à la décharge de toutes façons).

L’Arboretum de Kalmthout organise chaque année un marché des collectionneurs de perce-neige en février. Alors qu’au Royaume-Uni, de nombreux parcs et jardins ont des journées d’ouverture hivernales spécifiquement dédiées à la promenade parmi les Galanthus, cet arboretum est un des rares jardins en Belgique où l’on puisse en admirer.

Où planter vos premiers bulbes? L’idéal est le tapis de feuilles sous un feuillu. La floraison intervenant de fin janvier à début mars, il n’y a pas de concurrence pour la lumière et les pluies d’hiver. En revanche, en été les bulbes seront bien au sec et ils aiment ça. Une rocaille convient bien. Un terrain en pente est idéal car les bulbilles et les graines roulent vers le bas et conquièrent le terrain.

Mon père était un propagateur de perce-neige enthousiaste. Je le vois encore partir avec sa bêche déterrer quelques touffes bien fournies et aller replanter les bulbes deux par deux un peu plus loin. Aujourd’hui, quelque 10 ans après sa disparition, les tapis blancs qu’il a créés sous les arbres nous enchantent et nous le rappellent avec tendresse. Sans être devenue galantophile pour autant, j’avoue avoir le même plaisir à propager ces modestes merveilles.

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