Moutonnements méditerranéens

Dans un jardin italien, tout est architecture, y compris la végétation. Tout se sculpte, tout se taille. En visitant l’hôtel Il Pellicano à l’Argentario, en Toscane, j’ai vu un magnifique exemple du genre, créé par le grand paysagiste italien Paolo Pejrone.

Heureusement, beaucoup de plantes méditerranéennes se prêtent facilement à ce type de traitement, même si c’est au prix de leur floraison. Faisons un tour de quelques espèces idéales, dans les verts et dans les gris. J’éviterai de parler du buis dont les parasites et les maladies fongiques nous créent tant de problèmes. Voici donc des boules sans soucis.

Une des plantes dont Pejrone a fait grand usage, tant pour des boules que pour des haies joliment arrondies, n’est pas originaire de la Méditerranée mais parfaitement adaptée à son climat: c’est le Westringia, appelé parfois romarin d’Australie. Westringia fruticosa est effectivement originaire de la côte est du continent où l’arbuste pousse sur des falaises exposées aux embruns de mer. L’usage en bord de mer est donc parfaitement indiqué, à condition que la température ne descende pas en dessous de -5 °C. La résistance à la sécheresse est par contre excellente. Dans la nature, cet arbuste persistant forme naturellement une boule d’1.20 m environ. Le feuillage très fin, gris-vert est très régulier et attrayant. Les fleurs sont solitaires, un peu plus grandes que les fleurs de romarin, et sont blanches ou mauves. Elles apparaissent surtout au début du printemps, avec des floraisons moindres en été. L’idéal est donc de procéder à une première taille au printemps, puis d’une régularisation au milieu de l’été.

Notre romarin traditionnel est effectivement très similaire, mais beaucoup plus vert. Rosmarinus officinalis est une des plantes les plus costaudes de notre maquis méditerranéen, supportant d’être brouté et par conséquence taillé. Les embruns ne l’affectent pas, le nom de Rosmarinus signifiant d’ailleurs en latin ‘rosée marine’. Le romarin fleurit lui aussi à la fin de l’hiver, ce qui fait qu’il faut attendre un peu avant de procéder à la première taille si on veut profiter des fleurs. La variété ‘Prostratus’ est retombante et convient particulièrement pour les talus ou pour cascader du haut d’un mur.

L’avantage du romarin est son délicieux parfum quand on le froisse et bien entendu son utilité en cuisine: beau et bon à la fois.

Dans ce même jardin, le paysagiste fait largement usage de feuillages gris, contrastant avec les verts. La germandrée, Teucrium fruticans, avec son beau feuillage feutré de blanc, convient bien pour les topiaires. Nous avons vu le Westringia fruticosa, maintenant le Teucrium fruticans.; je m’empresse donc de préciser que l’épithète n’a rien à voir avec les fruits, mais dérive du mot latin frutex, arbuste ou buisson. C’est important, car c’est justement parce qu’il s’agit de plantes arbustives et très ramifiées qu’elles se prêtent si bien à la taille.

La germandrée est une vraie méditerranéenne, qui aime la chaleur, le soleil et la mer, de préférence en sol alcalin. Sa limite de rusticité est autour de -5°. Un avantage pour les maisons de vacances est que la jolie floraison mauve est estivale, de juin à septembre. La forme est au détriment de la fleur, mais pour en profiter un peu malgré tout, taillez au sortir de l’hiver puis une seconde fois en septembre. L’arbuste jette de longue branches arquées et peut atteindre 2m dans la nature. Elle sera donc assez difficile à discipliner malgré tout. Personnellement, j’hésite toujours entre la taille et le laisser vivre. Ce n’est pas mon premier choix pour des boules vu sa vigueur difficile à réfréner.

Une autre plante très répandue dans le maquis méditerranéen et d’une solidité à toute épreuve est le lentisque ou Pistacia lentiscus. C’est un parent du pistachier dont nous aimons tant les fruits: Pistacia vera. Par contre, ce pistachier-ci n’a rien d’exotique et est très répandu dans nos garrigues. Il porte lui aussi un fruit en fin de saison, en fait une masse de très petits fruits rouges très décoratifs pour un Noël méridional. La plante produit une sorte de gomme comestible et on l’appelle parfois arbre à mastic. Il semble y avoir des dizaines d’usages de toutes les parties de la plante, tant médicinaux que culinaires, dans les différentes cultures méditerranéennes.

Le point positif du lentisque est qu’il est d’une solidité extrême. Le feuillage alterne est élégant et les jeunes pousses sont souvent teintées de rouge. Les tiges sont cependant assez épaisses et dures à couper. De plus, la pousse est rapide et il faudra repasser régulièrement avec les cisailles si on veut éviter un buisson hirsute. Je dirais que c’est plutôt un candidat pour des plantations un peu plus naturelles dans la campagne.

Poussant bien souvent à côté du lentisque dans la maquis, on trouve le myrte, Myrtus communis, un arbuste très prisé depuis l’antiquité pour sa fleur blanche virginale et sa baie noire et épicée. C’est à mon avis le meilleur sujet pour l’art topiaire, vu qu’il produit une masse régulière de petites branches très fines. La feuille ovale est bien verte et brillante. Une taille après l’hiver permet de bénéficier de la floraison estivale et une deuxième taille après la floraison laissera encore un bon nombre de baies dont on peut faire de la liqueur digestive. Il existe une variété excellente à feuilles plus fines, Myrtus communis var. tarantina et une version compacte qui se trouve sous différentes appellations, dont ‘Nana’ ou ‘Compacta’. Pour ceux qui regrettent encore les buis, cet arbuste qui peut former une petite boule parfaite est certainement ce qui s’en rapproche le plus mais sans arrosage et sans maladies!

Pittosporum tobira est un grand arbuste originaire des régions chaudes d’Asie (limite de rusticité autour de -5°C) qui supporte bien la taille et reste régulier et dense. En mai, des panicules de fleurs blanches apparaissent, dégageant un délicieux parfum de fleurs d’oranger. La sélection variegata ci-dessus a une feuille plus grise bordée de blanc. Le cultivar qui convient cependant le mieux est Pittosporum tobira ‘Nanum’ qui forme des moutonnements bas et naturellement réguliers, rendant la taille quasiment inutile. Son belles rosaces de feuilles vertes et luisantes dégagent une impression de santé même en pleine canicule.

Dans la même région, à Orbetello, se trouve la Botanical Dry Garden, le jardin d’exposition de la pépinière Mates (https://www.matespiante.com/), spécialisée dans les plantes de jardin sec et en particulier les alternatives au gazon. Ici aussi il est fait usage de taille en boule pour mettre en valeur les feuillages persistants d’arbustes résistants à la sécheresse.

Le feuillage gris au premier plan est celui d’Atriplex halimus, l’arroche marine (alimos en grec veut dire ‘de la mer’). Ce buisson, très ramifié lui aussi, nous vient d’Afrique du nord notamment, mais s’est acclimaté sur la côte atlantique. Le feuillage, comestible d’ailleurs, est très argenté et devient dense quand on le taille.

Bien plus connu car supportant des latitudes plus nordiques, il y a Elaeagnus ebbingei, un arbuste à plus grandes feuilles, plus coriaces et très argentées surtout sur le revers. De petites fleurs très parfumées sont suivies pas des fruits translucides. Comme les fleurs se développent sur toute la branche, elles ne sont pas sacrifiées par la taille. Ce buisson très vigoureux se prête très bien à la taille au taille-haie et convient mieux pour des formes plus grandes, comme dans la deuxième photo que pour les boulettes de la premières. Il faudra plus d’une taille annuelle pour le maintenir ordonné.

Pour de tous petits moutons gris, on peut utiliser diverses lavandes bien sûr, mais encore mieux la santoline, méditerranéenne elle aussi. La plus appréciée pour son feuillage gris blanc s’appelle Santolina chamaecyparissus en latin et santoline petit cyprès en français. Le feuillage très finement découpé de ce sous-arbrisseau ressemble effectivement aux aiguilles du cyprès. Il possède une odeur forte très caractéristique (anti-mites dit-on). De juin à août apparaît une masse de petites fleurs jaune or en forme de boutons. Personnellement, je suis partisane d’une taille radicale qui ne permet pas la floraison. En fin d’hiver, je taille les touffes à 10-15 cm du sol, où apparaissent déjà de nombreuses jeunes pousses. La plante repart sans problème et forme naturellement une belle boule régulière que je ne taille plus. Par ce mode de croissance, la santoline se distingue nettement de la lavande qui ne peut pas être retaillée sur le vieux bois. Dans cette partie du jardin elle forme la bordure devant des lavandes et des Westringia.

Il y bien sûr d’autres candidats à la taille en boule, le laurier et le buis par exemple. En composant un mélange de hauteurs et de tonalités on peut créer des ondulations très plaisantes. Toute cette liste, que ce soient des exotiques ou des indigènes, présente l’avantage d’une parfaite adaptation à la chaleur et à la sécheresse, ce qui élimine complètement le besoin d’un jardinier qui doive arroser tous les soirs en votre absence. En revanche, il faudra prévoir une bonne semaine de taille en fin d’hiver, mais pour tailler en boule, nul n’est besoin d’un grand artiste de la cisaille! Les petites retouches, vous aurez le plaisir de vous en charger pendant les soirées l’été.

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