Fleurs de sable
Que ce soit au bord de l’Atlantique, de la Méditerranée ou sur les îles, les dunes hébergent des plantes étonnantes, à condition qu’elles soient protégées efficacement. Dans certaines régions, des passerelles en bois permettent par exemple d’accéder aux plages sans fouler la dune. C’est une bonne chose car cet environnement est très fragile et ne supporte pas le piétinement de vacanciers qui n’ont pas été formés à s’extasier devant de si humbles plantules.
Voici un zoom sur quelques unes.
Les plantes qui prospèrent dans le sable ont dû faire preuve de stratégies d’adaptation remarquables pour supporter les conditions extrêmes du bord de mer: sol pauvre et drainant, vent, soleil intense et sel. Nous ne supportons que quelques heures à la plage et rentrons épuisés… Ces plantes ont développé des racines très profondes (eau), rampent sur le sol ou poussent en touffes compactes (vent), sont couvertes de poils ou d’épines (soleil) et ont des mécanismes complexes pour éliminer le sel.
Une des plus belles apparitions sur la plage en été est le lys des sables, Pancratium maritimum. Son gros bulbe lui permet de stocker les réserves nécessaires à sa floraison estivale. Emportés par les marées hautes de l’automne, ces bulbes voyagent. De très grandes quantités de grosses graines noires multiplient ses chances de reproduction. La résilience extraordinaire de ce bulbe lui a valu un nom qui signifie ‘tout puissant’, du grec pan (tout) et kratos (puissant).
J’ai consacré un billet à cette merveille en août 2022.
Bordant les plages méridionales, vous remarquerez souvent des tapis d’une plante succulente communément appelée doigts ou griffes de sorcière. C’est une moins bonne nouvelle car cette plante, importée d’Afrique du Sud avec la bonne intention de stabiliser les dunes, s’est révélée hautement invasive. Couvrant parfois de vastes surfaces, elle réduit fortement la biodiversité locale et acidifie les sols. Elle est parfois utilisée comme alternative aux pelouses pour cette faculté d’éliminer la concurrence.
On la reconnaît facilement à ses feuilles grasses de section triangulaire, qui peuvent varier en couleur du vert au jaune et au rouge, dépendant des conditions d’exposition notamment. Le nom botanique de cette espèce à fleur jaune pâle est Carpobrotus edulis, un nom redondant car Carpobrotus vient des mots grec karpos (fruit) et brotos (comestible) alors que edulis veut dire comestible mais en latin. Le fruit, s’il est mangé par les animaux et certains peuples indigènes, ne correspond pas à nos goûts; il est mucilagineux et plein de graines. On voit aussi une espèce à fleurs rose magenta: Carpobrotus acinaciformis.
Une espèce qui présente également des feuilles succulentes mais qui est en revanche bien de chez nous est Crithmum maritimum, la criste marine. Son aire va de la Mer Noire à la Méditerranée et inclut tout le littoral atlantique. On la trouve surtout dans les rochers de bord de mer, occupant la moindre crevasse, mais aussi dans le sable. Occupant souvent des lieux inaccessibles, elle n’est pas menacée. Ses adaptations étonnantes au sel permettent effectivement à la criste de vivre dans la zone des embruns.
De faible hauteur pour résister au vent, cette succulente produit de jolies ombelles jaune-vert. Elles seront suivies de graines dispersées par l’eau et le vent.
Cette plante remarquable offre un refuge à de petits mammifères et du nectar aux insectes. Elle est récoltée et consommée par l’homme depuis les temps immémoriaux. On l’appelle d’ailleurs aussi fenouil des mers. Les feuilles charnues ont un goût de salicornes et accompagnent parfaitement les poissons. On les consomme crues, cuites ou en saumure, de même que les tiges et les fleurs. Antioxidante et riche en vitamine C, la criste marine était un des remèdes contre le scorbut.
Dans la même famille des ombellifères, maintenant appelée apiaceae, on peut voir en Méditerranée l’echinophore épineuse ou panais épineux, Echinophora spinosa. Beaucoup moins sympathique que la criste, l’évolution a permis à cette vivace de résister à son environnement hostile en développant des feuilles grisâtres, raides et se terminant par des pointes acérées. Le nom est aussi un bis repetita: Echinophora vient des mot grecs echinos, le hérisson ou épineux et phoros, qui porte. Spinosus est épineux en latin… Pique et pique!
Une plante succulente beaucoup plus discrète et également bien de chez nous est Petrosedum sediforme, ressemblant comme son nom l’indique à un Sedum (on le trouve aussi sous ce nom). Les feuilles grasses stockent l’eau nécessaire pour griller sur le sable ou les rochers. Des petites branches latérales cassent, roulent sur le sable et donnent naissance à de nouvelles plantes aux alentours. L’espèce produit des épis de petites fleurs jaunes.
Les petites feuilles peuvent avoir des couleurs variables, les plantes à feuilles grises étant très appréciées pour la culture en pot.
Une des plus belles plantes à prospérer dans le sable est le panicaut maritime, Eryngium maritimum. On l’appelle aussi chardon des dunes bien qu’il ne soit même pas apparenté aux chardons. Cette vivace peut atteindre une soixantaine de cm de haut et produit des fleurs bleutées de juin à septembre. Ses racines profondes, ses feuilles épineuses et cireuses et sa magnifique couleur grise la rendent parfaitement apte à vivre sur la plage.
Eryngium maritimum est une plante indigène qui connaît une très large distribution depuis les pays méditerranéens jusqu’en Suède. Son habitat côtier est cependant menacé et sa présence est en déclin. Le panicaut maritime a même été placé sur la liste rouge des plantes menacées au Royaume-Uni.
Parmi les gris, on voit parfois émerger du sable une petite plante aux tiges cotonneuses; c’est l’achillée maritime. On la trouve tantôt sous le nom de Achillea maritima, tantôt comme Otanthus maritimus. Sa pilosité et son port prostré protègent ce xérophyte (qui supporte la sécheresse). De petites fleurs jaunes en forme de boutons, font effectivement penser à certaines achillées. S’ancrant profondément dans le sable, ce plante qui ne dépasse pas 30 cm de haut contribue cependant à stabiliser les dunes.
Continuons dans les maritimus avec une fleur familière pour ceux qui fréquentent la côte atlantique: Armeria maritima, l’armérie maritime. Le nom proviendrait du mot celtique armor, signifiant bord de mer. Cette plante forme des coussinets denses de petites feuilles vertes persistantes, raison pour laquelle on trouve aussi le nom de gazon d’Espagne. Ces coussins sont surmontés de tiges toutes droites portant des fleurs roses réunies en boules. L’espèce se trouve souvent dans les marais salants.
Cette charmante petite vivace peut parfaitement se cultiver au jardin, surtout dans les jardins secs en plein soleil. Quelques cultivars horticoles présentent des variantes de rose et une sélection blanche.
Parmi les plus belles plantes côtières vues sur les grandes dunes du Portugal, en voici deux à fleurs bleu cobalt.
Anchusa undulata, la buglosse ondulée, a des fleurs tubulaires à centre blanc. C’est une championne de la sécheresse et de la salinité. Ses feuilles dotées de poils rougeâtres réfléchissent les rayons du soleil et limitent l’évaporation.
Le joli coussinet de la deuxième photo n’a pas été facile à identifier malgré les nombreux outils disponibles car il se contredisent. Il semble que ce soit Lysimachia monelli, anciennement Anagallis monelli, appelé parfois mouron bleu. C’est en tous cas une des merveilles indigènes de la péninsule ibérique.
Diverses espèces de thym sont adaptées au sable, dont le très beau Thymus praecox qui forme un tapis rose, photographié dans un jardin sur le sable au Portugal. Thymus capitatus forme un arbuste ligneux bas, à fleurs bleu violacé. On le voit en Grèce.
Malcolmia littorea est une giroflée des dunes dont les feuilles grises et fines assurent sa survie.
Le silène du littoral, Silene littorea, est modeste mais lumineux sur le sable. Il se protège des éléments par ses feuilles très poilues.
Enfin, dans les jaunes, on peut trouver une santoline particulière dans les dunes portugaises: Santolina impressa.
L’étonnante Linaria polygaliflora avec ses fleurs à l’allure très exotiques se trouve dans le même habitat. Ses feuilles délicates sont recouvertes d’un véritable velours argenté qui brille au soleil.
Toujours au Portugal, un ciste jaune, Cistus halimifolius, colonise l’arrière des dunes. On le trouve aussi sous Halimium halimifolium. Le feuillage gris contraste avec les fleurs or qui fleurissent tout le printemps. Sa résistance aux embruns, à la sécheresse et malgré tout à des gelées modérées en font une excellente plante pour les jardins de bord de mer.
Le pavot jaune des sables, Glaucium flavum, photographié sur une île grecque, présente cette même combinaison gris et or. Cette bisannuelle pousse exclusivement en bord de mer. La floraison est estivale, de juin à octobre. Les fleurs laissent la place à des capsules allongées, en forme de corne, ce qui lui vaut aussi le nom de pavot cornu.
Les photos de cet article, ramenées de promenades en Grèce, en Italie et au Portugal, ne représentent qu’une infime fraction de la diversité de la flore côtière. Je ne parle même pas de toutes les graminées qui sont si importantes pour les dunes. Ceux qui s’ennuient à la plage pourront passer des heures à botaniser…
Ils pourront aussi s’inspirer de ce biotope pour leur maison de vacances. Voici par exemple une création de dune de sable dans un jardin qui remplace avantageusement les parterres traditionnels et ne demande pas d’arrosage mais seulement un coup de râteau occasionnel. A envisager!
Se rendre à la plage pour son plaisir est un phénomène récent. Il s’accompagne d’un équipement considérable fait de parasols, paravents, crèmes, chapeaux et lunettes en été et de bottes, cirés, écharpes et bonnets l’hiver. Ceci pour nous rappeler que la plage est avant tout un environnement hostile! Or, nous n’y passons que quelques heures. Les plantes ammophiles (qui aiment le sable) et halophiles (qui supportent le sel) ont dû fait preuve de très nombreuses adaptations au fil de l’évolution pour y vivre à demeure. Cette spécialisation les rend aussi très fragiles.
Soyons donc respectueux de ce magnifique écosystème, ramassons les plastiques et évitons que les enfants n’y envoient leur ballon…
En plein été, à deux pas de votre parasol de plage, vous verrez peut-être émerger le lis des sables, Pancratium maritimum.