Des heuchères pour colorer l’hiver

Voici une success story horticole à priori improbable. Elle part d’une petite plante américaine plutôt insignifiante, une petite rosace de feuilles vertes produisant quelques longs épis de toutes petites fleurs; on ne s’y arrêterait même pas en promenade. Mais ces petits Heuchera, dont il existe de nombreuses espèces dans la nature, ont un jour produit un hybride dans un jardin botanique, et cette apparition spontanée a suscité une fièvre chez les horticulteurs. La surprise date de 1980: un spécimen au feuillage pourpre apparaît près du palais de Kew, dans le jardin botanique eponyme, aux portes de Londres. L’anomalie suscita admiration et excitation et fut nommée en conséquence ‘Palace Purple’. Ce fut le début d’une ruée vers l’or. Aujourd’hui, les heuchères sont un phénomène de mode fulgurant; plus de 200 variétés aux couleurs merveilleuses au catalogue et un lot de nouveautés chaque année. Les fêtes des plantes, comme ici dans les magnifiques jardins d’Aywiers en Belgique, présentent des étals où on ne sait que choisir.

Il est indéniable que ces nouveautés sont un apport précieux à nos platebandes, et ce en toute saison.

Les Heuchera appartiennent à la famille des saxifragacées, des plantes rustiques poussant volontiers dans les crevasses des rochers (du latin saxum, rocher et frangere, briser). Le genre fut nommé pour un certain Heucher, médecin allemand du 18ème siècle. Dans nos jardins, ces petites vivaces aiment un sol riche mais drainé, au soleil , à mi-ombre et même à l’ombre.

Il y a de nombreuses espèces, dont les plus courantes sont americana, elegans, villosa, micrantha et sanguinea. Heuchera sanguinea, une des premières à avoir conquis les jardins, porte des masses de petites clochettes rouge orangé, ce qui lui vaut le nom de Coral Bells en anglais. L’hybridation entre ces espèces est très courante et c’est peut-être ce qui a permis l’explosion de nouveaux cultivars ces dernières années.

L’heuchère est une vivace de petite taille, qui tend à s’étendre lentement en largeur par rhizomes. Une des principales utilisations est en bordure des parterres. Le feuillage reste beau tout l’hiver et devient vraiment magnifique au printemps quand les jeunes feuilles se déploient. Dans ce parterre photographié mi-avril, Heuchera ‘Caramel’, un grand classique, accompagne les anémones des bois et s’harmonise avec les premières feuilles des pivoines. Les feuilles de la saison précédente, jaune ocre, sont déjà surmontées des nouvelles, plus cuivrées.

Après quelques années, le centre de la plante devient ligneux. On peut en prélever des sections avec quelques racines et les replanter plus loin, multipliant assez rapidement ses plantes. L’opération peut se faire en automne ou au printemps.

Les heuchères se prêtent particulièrement bien à la culture en pot, notamment grâce à une bonne tolérance à la sécheresse. Elles permettent de réaliser des potées durables, pouvant rester en place plusieurs années, été comme hiver. En été, les longs épis de clochettes légères voltigent au-dessus des feuilles. De l’automne au printemps, les couleurs vives des feuillages font un effet aussi coloré qu’une masse de fleurs. Il suffit de couper les fleurs fanées et éventuellement quelques feuilles défraîchies pour maintenir un aspect impeccable. Pour des plantations durables, on peut les accompagner de belles graminées, dont les Carex vivaces, de feuillages argentés comme Jacobaea maritima (syn. Senecio cineraria), de sauges ou d’autres vivaces. Dans la dernière potée, j’ai associé H. ‘Wild Rose’ avec Carex oshimensis ‘Ice Cream’ et un Dimorphotheca (marguerite du Cap) violacé pour un plaisir continu et garanti sans limaces.

Là où les heuchères sont vraiment hors du commun, c’est dans la gamme très peu courante des tonalités cuivre, bronze, ambre et ocre. Les contrastes sont saisissants entre les jeunes pousses et les feuilles développées, les nervures, mais aussi entre l’envers et l’endroit du limbe. Celles qui sont étiquetées sont présentées par la Pépinière des Deux Caps (www.deuxcaps.fr), spécialisée en heuchères, agapanthes et hostas. Une bonne adresse en Belgique est la pépinière de plantes vivaces Spruyt (www.plantesvivaces.be). Au départ on connaissait ‘Caramel’, mais aujourd’hui leurs noms font rêver de choses délicieuses: ‘Peach Flambé’, ‘Marmelade’, ‘Champagne’, ‘Pinot Gris’, ‘Goji Berry’, ‘Brownie’…Après ce tout dans les douceurs, on est passé à des noms comme ‘Copper Dinosaur’ et même ‘Bloody Dinosaur’ pour de très belles plantes de plus grande dimension. Ces tons sont parfaits pour des créations plus contemporaines (mes bonnes vieilles terracotta ont 20 ans!) dans des bacs de plantation en ciment ou en acier corten.

La seconde gamme remarquable comprend tous les tons de pourpre, certains aux reflets métalliques et aux veines marquées. Après le classique ‘Palace Purple’, on trouve ‘Black Sea’, ‘Obsidian’, ‘Frosted Violet’, ‘Forever Purple’, ‘Midnight Rose’, ‘Silver Scrolls’, ‘Metallic Shimmer ‘et d’autres.

La palette de ces petite plantes peu coûteuses et peu exigeantes a tout pour inspirer le jardinier et l’artiste. Cette cueillette de mon jardin évoque une macédoine de fruits: pomme, abricot, pêche, framboise, prune, mûre et cassis.

Sans vouloir vous faire tourner la tête complètement, je dois mentionner qu’il existe un genre de plante très proche, au feuillage un rien plus petit et également excellent comme couvre-sol: les Tiarella. Ceux-ci ont aussi fait l’objet de nombreuses expérimentations chromatiques. Et pour couronner le tout, on a hybridé les genres Heuchera et Tiarella pour créer les Heucherella! Autant dire que le choix est sans fin.

Ma seule crainte est qu’avec cette offre démesurée, digne de la fast fashion, les heuchères ne soient victimes de leur succès. On les trouvera sans doute un jour de mauvais goût, comme on l’a fait avec les dahlias. En attendant, je prends volontiers ce risque!

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