Tous taupiers

Il y a le taupier, la taupière et la taupinière. La taupinière, vous le savez, désigne le monticule de terre dont l’apparition dans la pelouse a l’art de vous irriter. La taupière, quant à elle, n’est pas la femme du taupier, un métier qui semble n’exister qu’au masculin, mais est un terme réservé au piège à taupes. Pourtant, je prétends être une taupière relativement efficace (on ne l’est jamais totalement!). Bien que j’avoue n’avoir aucun instinct prédateur, je fais parfois exception avec mauvaise conscience pour l’élimination d’une de ces malencontreuses visiteuses de la pelouse.

En ces mois d’hiver où l’on n’est pas encore débordé, la chasse à la taupe et une bonne motivation pour arpenter le jardin chaque jour. De plus, mieux vaut intervenir avant le printemps quand l’ennemi fait son nid et produit de 4 à 6 futurs envahisseurs (de février à juin). Rappelez-vous toutefois que la taupe n’est pas un nuisible. Strictement insectivore, elle se nourrit à 90% de vers de terre, accompagnés de limaces et de quelques autres insectes du sol. Sa présence est même indicatrice d’un sol riche. Soyez donc tolérants dans la mesure du supportable…

La première chose à faire, si vous vous trouvez confrontés à un chapelet de taupinières après quelques jours d’absence, est de les ramasser. Vous récolterez une terre magnifiquement ameublie, gracieusement mise à disposition, et qui pourra vous servir de terre à rempoter ou pour créer un peu de relief dans le jardin. Vous serez surpris du volume que ces toutes petites bêtes ont pu évacuer de leurs galleries.

En ayant fait le ménage vous découvrirez dans quelle zone la taupe est active pour mieux la piéger. Je dis bien la taupe, car bien souvent un seul animal sera responsable de l’ensemble des ravages. La taupe est de fait un mammifère solitaire et territorial et réserve ses galeries pour son usage personnel. C’est une bonne nouvelle car il n’y aura généralement que celle là à dissuader … ou à attraper. La moins bonne nouvelle est qu’une nouvelle taupe pourrait venir coloniser le réseau de souterrains libérés, et que les mulots peuvent aussi les emprunter.

La stratégie à adopter dépendra beaucoup de la taille de votre jardin. La cavité garnie d’herbes sèches où vit la taupe se situe souvent sous un vieil arbre ou une haie. De là, elle creuse des galeries qui peuvent avoir une longueur de 200 mètres, à une moyenne de 20 mètres par jour. Elle les maintient méticuleusement et inspecte plusieurs fois par jour son garde manger. Si votre jardin est petit, il se peut donc que la taupe ne vive même pas chez vous et a simplement creusé quelques galeries pour se nourrir sur votre terrain. Dans ce cas, avec un peu de chance, les méthodes dissuasives suffiront. Si, par contre, elle a élu domicile sur votre terrain, des méthodes plus radicales s’imposent.

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Les éditions Larousse ont publié en 2009 un petit livret très amusant sur le sujet. On y démystifie pour commencer une série de légendes concernant ces petites bêtes. Tout d’abord elle ne sont pas hémophiles comme on l’a souvent prétendu. Ensuite, elles ne sont même pas tout à fait aveugles. Leur vue, pitoyable quand même, est largement compensée par un odorat surdéveloppé et une ouïe fine malgré l’absence d’oreilles externes. Leur point fort sont leurs pattes courtes et musclées, munies de fortes griffes, qui leur permettent de faire un travail d’excavation ravageur.

Le manuel démonte ensuite les recettes de grand-père pour les éloigner, jusqu’aux plus fantaisistes : boules de naphtaline, placement de tiges de rosiers, de ronces ou de verre pilé dans les galeries, inondations, connection du tuyau d’échappement de la voiture à la taupinière …

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Plusieurs plantes ont la réputation d’éloigner les taupes. Certains bulbes, comme les Fritillaria imperialis, Scilla peruviana et Allium mollis seraient répulsifs par leur odeur de pipi de chat. Le problème est que ces bulbes poussent dans les parterres où les taupes ne sont pas dérangeantes et que si la taupe est incommodée elle passera un peu plus loin. Les jolies Incarvillea sont souvent vendues comme remède miracle mais ces plantes délicates et chères ne résoudront pas le problème. L’épurge (photo), Euphorbia lathyris, compte chasse-taupe ou herbe à taupes parmi ses noms communs. Cette bisannuelle peut apparaître spontanément dans votre jardin car elle est une colonisatrice de friches. Comme toutes les euphorbes, elle produit un latex blanc irritant, y compris pour le nez de la taupe. Enfoncer quelques tiges fraîchement coupées dans les galeries me semble relativement efficace si on trouve la galerie d’arrivée principale. Euphorbia characias marche aussi.

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Au rayon de la déterrence il faut citer encore les vibrateurs, à piles ou solaires, à ficher dans les galeries, les fusées et les pétards. Les jardineries et les catalogues en ligne proposent des produits rivalisant en ingéniosité, comme ici le catalogue de Ducatillon. (Je recommande, soit dit en passant, cette firme française pour tout ce qui concerne les produits pour l’élevage des petits animaux, les animaux domestiques, l’apiculture, les produits de jardinage et de chasse. www.ducatillon.com).

Pour les vibrations, vous pouvez aussi essayer les barres à béton piquées en terre sur lesquelles vous enfilerez des bouteilles en verre ou en plastique que le vent fera bouger, ou les petits moulins pour enfants, moins hideux. Ces solutions ne peuvent toutefois servir que dans les petits jardins avec l’espoir de renvoyer l’ennemi chez le voisin.

Parmi les solutions dites ‘humaines’, il y a les pièges qui attrapent la bête vivante, lui permettant d’entrer dans un tube dont elle ne pourra plus sortir. Mon avis personnel est que c’est la pire des solutions. Imaginez-vous devoir vérifier vos pièges au moins deux fois par jour. Ensuite, si d’aventure vous avez capturé votre proie, et qu’elle n’est pas morte de stress entretemps, vous devrez transporter la malheureuse couinante pour la relâcher à quelques kilomètres et pas dans le jardin voisin! Venons en donc froidement au piège et à la mort subite.

Le plus simple et le plus efficace est la pince à double sens que vous voyez ci-dessus. Achetez-en plusieurs pour multiplier vos chances. Tout l’art consiste à trouver une bonne galerie. Le réseau souterrain est en fait très élaboré, avec des autoroutes profondes, des départementales et des vicinales. L’idéal est bien sûr de trouver l’autoroute, au plus près du nid, d’où la taupe part explorer votre pelouse. Ce n’est pas sous les taupinières qu’il faut chercher mais bien sous un endroit où juste un peu de terre a été soulevé. Enfoncez une bêche et si le terrain cède, vous aurez trouvé un passage. Dégagez bien le trou et vérifiez qu’il y ait bien un passage dans les deux sens. Mettez des gants pour bien déblayer les entrées; la taupe est très méticuleuse et aime des tunnels lisses et propres pour s’y déplacer avec vélocité. Placez le piège armé au milieu du passage et rebouchez très soigneusement avec les mottes de gazon en ayant soin qu’aucune lumière ne puisse passer. Marquez l’emplacement avec un bâton pour retrouver votre pince, éviter que quelqu’un ne trébuche et que la tondeuse en soit victime. Visitez le traquenard une fois par jour et surtout patience! L’ennemi est malin. Bien souvent il rebouchera simplement votre trou. Recommencez patiemment un peu plus loin. Pour réussir, il faut être persévérant. Votre dernier recours sera le taupier professionnel et vous serez maintenant devenus plus compréhensifs face au prix qu’il vous réclame.

Un dernier mot sur les méthodes de chasse. Le chat ou le Jack Russel peuvent parfois être efficaces s’ils se prennent au jeu. Le chasseur peut tirer au fusil ou à l’arc dans la taupinière au moment ou la taupe est présente et que la terre remue (généralement à heure fixe le matin et le soir). Enfin, il y a le déterrage à la bêche, pratiquée par les taupiers traditionnels. Ceci consiste à se mettre à l’affût comme ci-dessus, très silencieusement, et à la déterrer violemment. Encore faut-il l’achever, ce qui n’a rien de sympathique.

Autrefois, la fourrure de taupe était très prisée et non sans raison. Elle a la particularité unique de pousser perpendiculaire à la peau et de ne donc pas avoir de ‘sens du poil’. Cette adaptation permet à la taupe de circuler indifféremment en marche arrière ou en marche avant dans ses galeries, un peu comme si elle nageait sous terre. Les taupiers se payaient sur la vente des peaux. Et il en fallait beaucoup: comptez-en au moins 200 pour une petite veste. La grande mode du moleskine (de l’anglais mole, la taupe et skin, la peau) se situe au début du 20ème siècle. Les messieurs arboraient volontiers des gilets et les femmes des vestes ou des manteaux. Sur le blog Truth about Fur (d’où vient la photo), vous apprendrez tout sur la prédilection britannique pour cette fourrure. Et si celà vous tente, vous trouverez même des pièces en taupe véritable sur e-Bay!

Le terme de moleskine désigne aujourd’hui un coton à longue fibre très doux, aussi appelé peau de pèche, de même que des cotons enduits donnant l’aspect du cuir. D’où les fameux petits carnets de la marque Moleskine, bien éloignés de notre taupe.

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