Non, ceci n’est pas un arbre de Noël!
Quand il est jeune, cet arbre est tellement régulièrement étagé et raide qu’on pourrait le prendre pour un arbre de Noël en plastique! A le regarder de plus près, on voit que le tronc et les branches sont couverts d’écailles triangulaires disposées en spirale, dures et piquantes. Cette véritable armure servait de protection contre les grands herbivores du jurassique, époque à laquelle ce conifère était largement répandu. Elle vaut à cet arbre le nom de ‘désespoir des singes’ en français ou ‘Monkey Puzzle Tree’ en anglais; impossible pour un singe d’y grimper ou de sauter de branche en branche! Voilà un nom bien peu flatteur pour un arbre qui est le symbole du Chili et l’arbre nourricier de tout un peuple: Araucaria araucana.
Sur les pentes battues par les vents de la Cordillère des Andes, au Chili et à l’ouest de l’Argentine, on peut encore voir des populations homogènes de grands araucarias. L’arbre peut pousser jusqu’à 50 mètres de haut et vivre millénaire. Il fut découvert lors de la conquête espagnole, au sud du continent, sur le territoire que les conquistadores appelèrent Araucanie. Ils appelèrent indiens araucans le peuple indigène qui y vivait: les redoutables Mapuche. Dans les faits, ni les Incas, ni les espagnols ne soumirent les Mapuche. Ce ne fut que lors de la constitution du Chili en 1882 qu’ils furent massacrés pour la plupart et relégués dans des réserves pour le reste.
A partir de ce petit arbre raide, un spécimen majestueux va se développer, formant un tronc gris et absolument droit. La ramure, importante au départ, va peu à peu se limiter à l’extrémité de l’arbre, lui donnant une allure de pin parasol. Dans la nature, les groupements exclusifs sont très spectaculaires et créent réellement une ambiance préhistorique.
Comme beaucoup de conifères primitifs, les sujets mâles et femelles sont séparés, la pollinisation se faisant par le vent. Chez les mâles, les cônes sont groupés au bout des branches. Les cônes femelles forment des boules de grand volume qui mettent trois ans à mûrir. A ce moment là, ces cônes éclatent, libérant jusqu’à 200 semences de la taille des noix du Brésil.
Sur cette photo du tourisme chilien, on voit les pignons de l’araucaria, vendus sur un marché. Pour les Mapuche, ces semences sont vitales, la base même de leur alimentation, de leur économie et même de leur culture.
Localement, l’arbre et connu sous le nom de Pehuén. Ses semences sont riches en hydrates de carbone, en protéines et en graisses. Ils les mangent crus, grillés ou bouillis, en font de la farine, en obtiennent de l’huile et les fermentent pour faire de l’alcool. La vente permet d’obtenir d’autres commodités indispensables.
Quand au bois, il sert à la construction. Le pehuén est cependant tellement vital pour les Mapuche qu’il est vénéré comme sacré et est au centre de rites, de chansons et de poésies. Ils veillent donc à en prélever avec parcimonie. Encore heureux que les conquérants n’aient pas pu soumettre toute la Patagonie car ces magnifiques troncs auraient fini comme mâts pour leurs caravelles…
L’araucaria du Chili fut introduit au Royaume-Uni en 1795 quand Archibald Menzies (connu pour avoir découvert le douglas) en donna des semences au célèbre botaniste Joseph Banks. La germination se fit sans problème et les jeunes arbres se montrèrent tout à fait rustiques sous le climat anglais. Dès le début du 19ème siècle, l’engouement étonnant pour ce ‘désespoir des singes’ s’étendit à l’Europe continentale. Il apparut dans les arboretums, les squares et les jardins publics et privés.
S’il est majestueux dans son environnement naturel, l’allure exotique de Araucaria araucana le rend incongru dans beaucoup de situations. Je m’étonne toujours de le voir planté devant des maisons suburbaines où il mange littéralement tout l’espace! Beaucoup ne réalisent pas que l’arbre devient immense…
Le genre Araucaria existait déjà à l’époque du Gondwana, le supercontinent qui réunissait l’Afrique, l’Amérique du Sud, l’Inde et l’Australie. Il a commencé à se disloquer il y a 180 millions d’années et diverses espèces d’araucaria ont survécu dans des niches écologiques de l’hémisphère sud. Un espèce fréquemment cultivée en climat doux est Araucaria heterophylla, appelé aussi pin de Norfolk. L’Île de Norfolk se situe entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Cet arbre magnifique se distingue par sa structure parfaitement symétrique, surtout chez les jeunes sujets. Le tronc pousse bien droit et peut atteindre 60 mètres de haut, ce qui en fait un des plus grands arbres que l’on puisse cultiver. Les feuilles sont nettement plus douces que celles de l’espère araucana. Elles sont courtes sur l’arbre jeune mais deviennent progressivement plus longues; c’est le sens de heterophylla (à feuilles différentes).
L’espèce, subtropicale, est malheureusement gélive et ne peut être envisagée qu’en climat très doux, en bord de mer par exemple. En théorie, il lui faut pas mal d’humidité, mais je constate qu’une fois établi, cet arbre résiste parfaitement à la sécheresse. J’en vois de nombreux exemplaires dans le sud de Italie où ils dominent même les plus hauts des palmiers et les pins parasols.
Malgré ses dimensions géantes dans la nature, Araucaria heterophylla (parfois vendu comme A. excelsa) est proposé comme plante d’intérieur en pot, notamment la sélection ‘Hawaii’. Très régulier et élégant, d’un beau vert clair, le pin de Norfolk reste cependant trop cher et exclusif pour qu’on vous le propose pour Noël…
Un autre géant, pouvant monter à 50 mètres, est Araucaria bidwillii, provenant du Queensland, à l’Est de l’Australie. On l’appelle communément bunya-bunya, du nom que lui donnent les aborigènes (banya). La silhouette de cet arbre est plus large, avec de longues ramifications horizontales. On le reconnaît surtout par les touffes de feuilles concentrées au bout des branches.
Les cônes femelles, de la taille d’une balle de rugby, sont peut-être les plus grands cônes de tous les conifères. Ils produisent de très grosses semences qui jouent un rôle clé dans l’alimentation des peuples indigènes, similaire au pehuén pour les Mapuche.
Ces peuples indigènes qui vivaient en symbiose avec ces arbres antiques les ont vénérés et heureusement protégés dans des environnements peu accessibles. L’histoire la plus étonnante est cependant la découverte récente d’un conifère qu’on ne connaissait qu’à l’état fossile, Wollemia nobilis, appartenant lui aussi à la petite famille des araucariaceae.
La découverte et le sauvetage extraordinaire du Wollemia.
Il est rarissime de découvrir une nouvelle espèce de conifère, encore plus rare de découvrir un genre entièrement nouveau. C’est ce arriva ne 1994 quand David Noble, un jeune garde du parc national de Wollemi, à quelque 150 km au NW de Sydney, descendit en rappel dans un canyon et se trouva confronté à un groupe d’arbres insolites. Il remit du matériel à un botaniste qui vit la ressemblance avec les fossiles d’une plante que l’on croyait éteinte depuis 2 millions d’années. Il aurait été très répandu sur le Gondwana à l’époque des dinosaures. Ce fut l’événement botanique du siècle! On baptisa ce fossile vivant Wollemia nobilis en l’honneur du parc et de celui qui en fit la découverte. Il fut classé dans la famille des araucariacées.
Dans ce canyon, il ne subsistait qu’une petite population d’une centaine de sujets, adultes et juvéniles. Les autorités australiennes agirent avec détermination pour les protéger. Tout d’abord, il maintinrent secret le lieu de la trouvaille. Ensuite, ils parvinrent à multiplier les plantes par boutures et cultures de cellules. A partir de l’an 2000 ils décidèrent que la meilleure façon de conserver ce trésor national et d’éviter les pillages, serait de commercialiser l’arbre. Il fut donc reproduit et distribué d’abord en exclusivité aux grands jardins botaniques du monde. De là, il devint progressivement disponible aux pépinières, bien qu’en quantités très limitées. Le sauvetage de cette espèce au bord de l’extinction fut un exemple remarquable de conservation. Aujourd’hui, vous pouvez cultiver votre propre Wollemia et contribuer de la sorte à sa protection.
Un bébé wollemia, voilà un cadeau de Noël réellement exceptionnel!
image du Wollemi National Park