Crosses d’évêque ou crosses de violon, c’est selon

Enivrés par le parfums, éblouis par l’abondance des fleurs de mai, nous sommes comme des papillons folâtres. Dans notre distraction nous risquons de passer à côté du spectacle merveilleux qui se déroule - littéralement - discrètement, sans couleurs, dans l’ombre humide des sous-bois: le déroulement des crosses des fougères. Monstres velus? Pattes de pieuvres? Plantes préhistoriques.

Toutes les fougères qui poussent chez nous, qu’elles répondent au doux noms de polypodes, d’osmondes, de scolopendres ou de dryoptères, qu’elles soient persistantes ou non, forment leurs jeunes frondes de cette manière intrigante et gracieuse. Le phénomène s’observe pendant plusieurs semaines. Wikipédia vous l’explique mieux que moi:

“À l'état jeune, les feuilles des fougères sont enroulées : elles sont alors nommées crosses en raison de leur ressemblance avec une crosse d'évêque. Le développement de la fronde s'effectue par une croissance différentielle des cellules de la face inférieure (à l'extérieur) et supérieure (à l'intérieur) : les cellules externes ont une croissance plus rapide que les autres, ce qui provoque le déroulement de la feuille.”

Ce phénomène est appelé « préfoliaison circinée ».

Une des fougères les plus élégantes est Matteucia struthiopteris. Elle tient son nom curieux de deux mots grecs: struthion, l’autruche et pteris, la plume. Ses frondes finement pennées se dressent en forme de vase. Cette fougère caduque se plaît dans les terrains lourds et humides où elle peut rapidement former de grandes colonies grâce à ses rhizomes. Elles sont spectaculaires vues à contre-jour.

Au Canada il semblerait que les crosses de cette fougère se mangent. Je ne me suis pas aventurée …

Le terme pteris (plume) se retrouve dans plusieurs noms de fougères, qui appartiennent d’ailleurs à la famille des ptéridophytes, littéralement plantes-plumes. Dryopteris filix-mas, par exemple, la fougère mâle, est une des plus présentes dans nos forêts.

Vers le milieu du 18ème siècle, en plein Romantisme, quand ils se mirent à escalader des montagnes, à explorer les gorges et les falaises, les britanniques s’enthousiasmèrent pour le monde jusqu’alors peu exploré des fougères. Ils construisirent des serres humides et sombres pour les cultiver, des jardins d’hiver pour les collectionner et les introduisirent même sous cloche dans leurs salons. Ce vent de folie a été appelé la PTERIDOMANIE!

Onoclea sensibilis est une autre très belle fougère caduque et rhizomateuse, mais celle-ci est malheureusement très envahissante et difficile à extirper. A introduire avec la plus grande prudence! Elle est aussi une habitante de l’ombre fraîche et humide. Les crosses s’élèvent sur de belles tiges rousses au printemps. Les frondes matures sont larges et élégantes.

Une des plus grandes fougères, atteignant plus d’un mètre et offrant un spectacle somptueux sans cette velléité conquérante est l’osmonde royale: Osmunda regalis. C’est un des meilleurs choix pour un bord d’étang.

La scolopendre ou langue-de-cerf, Asplenium scolopendrium est bien connue. Cette petite fougère a des frondes vert vif très lumineuses et entières. C’est une des rares fougères à supporter le calcaire et elle se glisse dans les crevasses des murs car elle se ressème volontiers. Les scolopendres sont vivaces et gardent un beau feuillage tout l’hiver. Il n’est pas obligatoire de couper les vieilles feuilles après l’hiver, mais cela permet de mieux observer le merveilleux spectacle de la naissances des nouvelles frondes, protégées par un duvet blanc.

Voici des créatures vraiment étranges, roux et poilus comme des orang-outangs. Ce sont les crosses des Dryopteris. Dryopteris wallichiana en particulier est une très belle fougère semi-persistante, qui au fil du temps forme une grande touffe évasée d’un mètre de haut. Les frondes coriaces sont d’un beau vert foncé et brillant. Le principal avantage de ces plantes de choix est qu’elles ne vont pas se multiplier spontanément et vous envahir.

Le summum de l’étrange, ce sont les gigantesques crosses velues des fougères arborescentes. Les serres du palais royal de Laeken, ouverts au public pendant 3 semaines en mai, en détiennent une belle collection. Au carbonifère, ces fougères immenses peuplaient la terre. Elle ne subsistent aujourd’hui que dans quelques rares niches écologiques mais peuvent se cultiver dans des climats doux et humides comme les Cornouailles ou la Bretagne.

Il est extraordinaire de penser qu’une fronde de 4m de haut va se dérouler à partir de cette spirale. Il s’agit sans doute d’une adaptation de ces plantes préhistoriques. L’aspect presque animal des jeunes frondes leur permettait probablement d’échapper à l’attention du dinosaure herbivore de passage.

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